AU dernier soupir.pdf
Lorsque Madame et Monsieur Schmidlin quittent leur appartement douillet du Locle pour aller visiter une pension pour personnes âgées de la Riviera, tenue par le couple Tenardier, ils sont loin d’imaginer ce qui les atttend… Si m. Schmidlin, alias Bébert, trouve en la personne du médecin de l’établissement, le docteur Ducimetière, un sympathisant qui va s’efforcer de lui venir en aide, Madame Schmidlin n’est pas au bout de ses émotions… Retrouvera-t-elle son parapluie rose après son aller-retour dans le ventre d’un vilain saurien ? L’inspecteur Yvan Pétrin confondra-t-il le couple Tenardier suspecté de gestion hautement répréhensible de ce home si opportunément nommé “Au dernier soupir” ?

Format A5, 88 p.
Fr. 22.–, port compris


Tableau 1

Le hall d’entrée de la maison de repos


Le directeur, au téléphone


… Oui, c’est bien moi, bonjour madame. Vous êtes bien à l’EMS Au Dernier Soupir. Parfaitement. Je suis son directeur. M. Tenardier soi-même. Pas Ténardier de triste mémoire, je vous prie. Tenardier. Nous sommes propriétaires de cette entreprise familiale florissante, euh, de cette maison de retraite, depuis le milieu du 19e siècle… Je suis directeur et chef exécutif des ressources humaines, ainsi que chef de la comptabilité…

… Oh oui, c’est très juste, on est beaucoup mieux servi par soi-même. Mais je suis secondé de manière efficace par ma femme et par ma secrétaire, Mme Süsstrunk…

… comme ça se prononce. Enfin à peu près !

… Eh bien, cette maison de repos, havre de paix et de sérénité – qui délivre les meilleures prestations de toutes les maisons de ce type rapport qualité /prix, ceci dit entre parenthèses, est située au fond d’un vallon…  non non, rassurez-vous, la vue est superbe. Par beau temps on voit le Schnitzhorn, le Pflüemlihorn, le Schläppihorn, le röstihorn, etc., etc., en tous les cas c’est pas morne. Et par temps clair on voit même jusqu’à Yvorne, que dis-je, jusqu’au Cap Horn.

… Non non, rassurez-vous. Chez nous le résident est roi. Y en a qui mangent couchés, d’autres assis, on peut faire des promenades le long de la rivière aux crocodiles – écoutez, on entend la chute –, y a un parc animalier, avec des canards, des dindons, des chevaux, des paons, des ours en liberté…

… N’ayez crainte, on leur donne à manger tous les jours. Aux pensionnaires aussi. En tous les cas, ils sont tous bien soignés…

… La cuisine? La cuisine est spécialement étudiée, chère madame. Beaucoup de microparticules, de graines, de micronutriments, du calcium, du phosphate, de l’azote, du bicarbonate, enfin tout ce qui est bon pour le corps et l’esprit, beaucoup de purée…

… Ah ben, des purées de toute sorte, purées de pommes, de pommes de terre, de carottes, d’artichauts, de déchets carnés, non que dis-je, de viande de bœuf premier choix élevés au sol, tout est savoureux, sans additif, tout est sélectionné par une diététicienne diplômée qui a travaillé longtemps dans les centres de requérants d’asile…

… Ah ! les loisirs, les loisirs. Parlons-en. Nous avons évidemment développé toute sorte d’activités ludiques, ateliers de travaux manuels, chœur mixte, club de jass, poterie, dessin, petites fleurs, jardinage, et pour ceux que ces activités créatrices n’intéressent pas il y a, derrière le bâtiment principal, l’entrée de la mine de sel, jamais nos pensionnaires ne s’ennuient…

… Mais non, pensez donc, c’est facultatif. Ceux qui veulent travailler le font sur la base du volontariat. On leur fournit le casque avec lampe frontale, une brouette, une pelle et une pioche. Les plus motivés sont régulièrement cités en exemple… Notre philosophie est d’intégrer au maximun les pensionnaires dans les activités économiques de la maison : on n’interdit à personne de peler des pommes de terre, de labourer un carreau, de servir à table, de balayer, de s’occuper de son voisin ou de sa voisine. Ainsi chacun se sent utile et reprend goût à la vie… Ce qui nous permet d’avoir des prestations concurrentielles…

… Vous plaisantez, Mme Schmidlin, on ne paie pas des résidents pour qu’ils s’épanouissent. On développe des synergies, madame, il s’agit de thérapie par le travail, d’entraide. Ça n’a pas de prix.

… Le prix… oui bien sûr, je puis vous fournir un prix de base, le plus bas pratiqué loin à la ronde, sans concurrence. Satisfait ou remboursé. Pas de problème. Là-dessus faut ajouter les frais annexes, comme la manucure…

… Oh! vous savez, les hommes aussi sont coquets, votre mari aussi. Je continue. Le coiffeur…

… Mais votre mari aura du plaisir à se faire faire, que sais-je, des dreads, une queue de cheval…

… Ah, il est chauve… Soit. Mais y faut bien passer la poussière de temps en temps. Je continue, y a encore l’onglerie, les suppléments pour soins particuliers…

… Ben par exemple, s’il faut lui raconter une histoire avant de s’endormir, s’il lui faut du soutien psychologique, rendez-vous compte, il va être séparé de sa moitié, il va être comme amputé d’une partie de lui-même…

… Oui, vous avez raison, avec les années il y a des moitiés qui deviennent plus envahissantes… Au fait comment s’appelle-t-il ? Ah ! Bébert… en parfait état de santé, costaud, dites-vous, mais il perd un peu la mémoire. C’est parfait, il va intégrer notre équipe sans problème. Venez visiter sans autre et vous inscrire du même coup. Cet après-midi, parfait. A tout à l’heure, au revoir madame.


A la secrétaire
M. Tenardier
Mme Süsstrunck, s’il vous plaît, pouvez-vous préparer le dossier Bébert. Une admission imminente. Albert Schmidlin, dit Bébert.

Mme Süsstrunck
Et y vient d’où ?
M. Tenardier
Du Locle.
Mme Süsstrunck
Le Locle ? C’est encore habité ?

M. Tenardier
Madame Süsstrunck, vous qui avez la peau fragile et craignez d’être bombardée par les UV, pour vos prochaines vacances, je vous recommande Le Locle.

Mme Süsstrunck
Et ce Bébert, il est présenté par qui ?

M. Tenardier
C’est sa femme qui a téléphoné. Elle dit qu’il perd la mémoire et qu’elle ne peut plus en faire façon…

Mme Süsstrunck
Soit. Y faudra  convoquer le docteur Ducimetière pour qu’il l’ausculte.

M. Tenardier
Je vous laisse organiser tout cela. En attendant il faut que j’aille. J’ai un symposium cet après-midi.

Mme Süsstrunck
C’est qui ce saint Posium ?

M. Tenardier
(Aparté) Quelle couche elle en a. Oh ! je renonce à vous expliquer ! Ce serait trop long.


Mme Süsstrunck s’apprête à remplir le formulaire, M. Tenardier s’en va d’un pas pressé. Entre l’infirmière-cheffe, Mme Niffenegger.



Mme Süsstrunck
Des problèmes, Mme Niffenegger ?

Mme Niffeneger
Comme d’habitude.
Mme Süsstrunck
C’est-à-dire ?
Mme Niffeneger
Oh ben, Mme Rochat du dessus s’est étouffée en avalant tout droit une pomme de terre.

Mme Süsstrunck
Vous avez pu récupérer la pomme de terre ?

Mme Niffeneger
Oui, mais elle n’est plus comestible.

Mme Süsstrunck
Dommage.
Mme Süsstrunck
Et Mme Rochat, dans quel état est-elle?

Mme Niffeneger
Son état l’âge aidant inspire les plus vives inquiétudes.

Mme Süsstrunck
Quel étalage? Exprimez-vous clairement…

Mme Niffeneger

Elle renquemêle.

Mme Süsstrunck
Renquemêle… Vous pouvez pas parler français. Ça veut dire quoi «renquemêle»?


Mme Niffeneger
Ben, c’est quand on respire en sifflant, comme une sorte de râle.

Mme Süsstrunck
Mon Dieu, Mme Niffenegger, y faut de suite quérir le docteur…

Mme Niffeneger
C’est ce que j’ai fait, mais c’est l’heure de sa sieste… alors j’ai appelé directement…

Mme Süsstrunck
Qui, l’ambulance ?

Mme Niffeneger
Non madame, M. l’abbé Gonia.

Mme Süsstrunck
L’abbé Gonia ? Et pourquoi pas André Fleurs, pendant que vous y êtes ! Appelez immédiatement l’ambulance.

Mme Niffeneger
(Voyant qu’elle reste figée) Purée, exécution !

Exit Mme Niffenegger.

Mme Süsstrunck reprend la frappe du formulaire. On entend la sirène d’une ambulance, dans le couloir des bruits de pas, des voix étouffées. Soudain la porte s’ouvre violemment. Deux ambulanciers se précipitent dans la pièce, s’arrêtent, jettent un regard circulaire, aperçoivent Mme Süsstrunck, la fixent une paire de secondes puis se précipitent sur elle.

Mme Süsstrunck
Arrêtez, imbéciles que vous êtes, ce n’est pas de moi qu’il s’agit !

1er ambulancier
Mais alors de qui ?

Mme Süsstrunck
De Mme Rochat du dessus.

2e ambulancier
Tu vois je t’avais bien dit.

Mme Süsstrunck
Montez les escaliers, tournez à gauche, prenez à droite, la porte en face. Dépêchez !

Bruits de pas précipités. Des voix se rapprochent. Nouvelle irruption des deux ambulanciers.


1er ambulancier
C’est laquelle des trois ?

2e ambulancier
Ouais, parce qu’il y a trois Mme Rochat à l’étage.

Mme Süsstrunck
Mais celle qui est par terre et qui renquemêle.
1er ambulancier
Celle qui quoi ?

Mme Süsstrunck
Celle qui renquemêle, purée, exécution !

Ressortent les deux ambulanciers.


Mme Süsstrunck
D’où est-ce qu’ils débarquent ces deux tabourets. (Se retournant, et apercevant l’abbé Gonia) Ah ! voilà l’autre, y manquait plus que celui-là. C’est le bouquet!

L’abbé Gonia
On m’a quéri et j’arrive. Où est-elle ? Je ne la vois pas. A-t-elle guéri donc ?

Mme Süsstrunck
(En aparté) Guéridon ? (A l’abbé) C’est pour Mme Rochat je présume.

L’abbé Gonia
Oui, justement. Que puis-je faire au juste ?

Mme Süsstrunck
Prier.

L’abbé Gonia
Qu’a-t-elle ?

Mme Süsstrunck
Dans la salle de bains…
7
au dernier soupir,

Comédie en 5 tableaux

Extraits du premier tableau